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"L"homme révolté" - Albert Camus -.

« L’homme révolté » 

 

A première vue, cet opus camuséen fait davantage étalage d’une culture littéraire, il est vrai manifeste, qu’il ne propose de théorie décisive sur la révolte, d’autant que si l’on contextualise l’intentionnalité psychique du révolté,  on converge forcément vers un réalisme ponctuel, intangible au principe d’intentionnalité, si bien que l’argumentaire référentiel à la littérature trahit une  sorte de formalisme descriptif en réalité presque inutile à la contemporanéité notionnelle.  La révolte sonne le glas d’une humanité chevillée à sa condition, soit, on peut soumettre l’aspect revendicatif d’une liberté totale à la destruction qu’opérât Sade en son temps et y voir comme Camus une preuve d’affirmation universelle, ou bien synthétiser « la volonté de puissance » nietzschéenne en une sorte de pari « méthodique » anticonformiste, et ce faisant tout autant nihiliste, ou plutôt ascétique, car la liberté promue par Nietzsche « le dire oui à la vie » est en définitive un renoncement, l’abandon de la servitude, c’est certain, au nom d’une volonté qui se réclame d’elle-même (en quelques sortes le doute hyperbolique de Descartes), et des jugements de valeurs. Mais une existence sans jalon, sans loi ….. Peut-elle se revendiquer comme telle ? Faut-il nier l’évidence pour être libre ? C’est un peu le constat que fait Nietzsche en abandonnant l’homme à ses valeurs primordiales. D'autant que Nietzsche est contraint de crier pour réveiller les hommes, or comme l'indique Heidegger "Ce n'est pas dans un cri que la pensée parvient à se faire entendre", la tempérance promue par Heidegger annihile tout instinct séditieux, revendique une voie saine que l'esprit de révolte semble méconnaître C’est indéniablement la spécificité thomiste de la pensée nietzschéenne qui l’amenât à estimer, encenser,  le macrocosme de l’Art, et par là le feu d’Héraclite, la source de l’un-primordial, statuant arbitrairement d’une thématique philosophique où l’Art devient cette échappatoire obligatoire au scientisme (cf. « Aux origines de la Tragédie »).

La révolte est le témoignage d’une attitude hostile à son temps, à sa classe…, mais l’objection peut aussi revêtir le marqueur soudain, injustifié du moment, qu’est-ce donc que la révolte si aucun mouvement révolutionnaire n’est décelé, ni qu’aucun raccord idéologique n’implique la fédération d’une masse quelconque. André Breton, qui devait passer le plus clair de son temps à dormir, énonce sans intention le principe essentiel à l’œuvre dans la révolte qui n’est autre qu’une dynamique contradictoire à la subjectivité, un principe contestataire qui dans certains cas verse dans la mystification parodique : « Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence si contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l’on peut ainsi dire. C’est à sa conquête que je vais, certain de n’y pas parvenir mais trop insoucieux de ma mort pour ne pas supputer un peu les joies d’une telle possession ». C’est joli la rébellion par ces quelques atours freudiens, mais on voit ici que la révolte n’est autre qu’une forme de nihilisme fantaisiste, dont l’inclinaison démagogique nous fait scruter le réel avec davantage d’intérêt - sans remettre en question la théorie de Freud sur l’interprétation des rêves. Pour Breton la surréalité prône la liberté par la subversion, l’hostilité envers tout ce qui compose la condition matérielle et morale des hommes, pour une morale neuve capable de solutionner tous nos maux, une lutte désespérée pour ainsi dire. Une théorie anarchiste dont l’incursion dans le domaine de la pensée révèle une marque d’esprit apatride, éloignée d’une cohérence fondée à l’univers artistique. La totalité irrationnelle que prône la surréalité, « le hasard objectif », donne à la révolte ce ton négatif d’une direction sans issue, laissant Nietzsche s’accommoder sans modération de l’innocence d’un soleil au zénith.

Si pour Camus la révolte est le seul moyen de dépasser l’absurde, qu’elle s’approprie la déviance humaine, crime etc….de manière systématique - sans analyse psychologique préalable -, nous laisse entrevoir cette césure quasi polémique entre l’irrationnel et la dignité qu’implique un esprit doté de raison, et ainsi sur l’inanité d’un tel débat ; car doit-on comme, dans le mythe de Sisyphe, adhérer à l’extrémité d’une humanité radicalisée, poussée dans ses retranchements tourmentés et d’où les ponts vers ces états dominés par le règne de la raison sont à jamais rompus. C’est aussi la marque de tout récit elliptique, de chercher à tout prix une analogie quel qu’en soit le prix ; en quoi la filiation  historique donnerait aux mouvements révolutionnaires, quel qu’il soit, cette inviolabilité notionnelle que cherche à caractériser Camus, lesquels sont à jamais captifs d’un contexte précis, d’une inclusion sociale distinctive où le peuple dans la mesure de sa volonté exprime, [mesure n’est pas innocent], ce qui en un lieux, doit être sa vérité, car finalement dans l’acception mesure nous est livrée la réalité du « contrat social », et l’acuité d’une notion qui se réclame d’une universalité inattaquable mais qui se heurte malgré cela à la réalité d’un contexte.

« La vie est cette puissance de configuration d’un vivant et de son milieu….si bien qu’on pourrait reprendre cette formule de Dilthey, que la vie se comprend et s’interprète elle-même…  », c’est en ce sens qu’il faut saisir le caractère subjectif réciproque de l’intention, laquelle implique toujours, et par essence, un lien constitutif à un monde ambiant ; pour l’homme cette existence dans une totalité imparfaite se révèle telle une lutte en opposition à cette plénitude comme l’indique Patočka : « L’animal est entier, la vie animal est une vie dans l’unité, intégrée sans discontinuité dans tout le reste de la nature….. L’animal n’a aucune égoïté, puisque c’est la totalité qui agit en lui….Il n’a pas besoin d’un rapport explicite à la totalité-il est lui-même cette totalité. L’homme au contraire s’est mis à part. Le rapport humain à la totalité signifie chez l’homme qu’il y a une incomplétude  essentielle, une révolte contre la totalité, une dissension avec elle. L’homme vie dans un rapport à la totalité parce qu’il ne vit pas en totalité et à partir d’elle. La vie humaine est à vrai dire une vie contre la totalité ». La force à l’œuvre dans la révolte est cernée, circonscrite et localisée au sein d’une continuité active où l’être de l’homme semble étranger à la constitution de ce qui est, un constat préoccupant. Il en est rien, car c’est par ce destin inachevé que la quête du sens prend son essor et vient parachever l’expérience universelle de la nature : « C'est vérifiable chez tous les animaux, non seulement par l'observation externe, mais aussi par l'observation interne, par la dissection. Un organe, dont la destination n'est pas d'être utilisé, une structure qui n'atteint pas son but est incompatible avec une étude téléologique de la nature. Car, si nous nous écartons de ce principe, nous n'avons plus une nature conforme à des fins, mais un jeu de la nature sans finalité, et le hasard désolant détrône le fil directeur de la raison ». Kant.

« Je me révolte, donc nous sommes.. », et la révolte métaphysique ajoutait alors le « nous sommes seuls.. » écrivait Camus, ce constat d’une servitude assurée doit échapper à son renoncement et retrouver la vigueur créatrice qui fait ces esprits de conquêtes, entraînant l’humanité vers un épanouissement commun à chacun.  

 

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14/11/2013
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