Science-de-la-liaison

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OLNI (Objet Littéraire Non Identifié).


"Le loup des steppes" - Herman Hesse -

Un homme intelligent, cultivé et raffiné des plus beaux airs classiques, mais cependant exclu de l’illusion mondaine, amorphe à toute distraction, en interrogation constante sur son individu, dont la matière délibérative se borne à imaginer une individualité mi-homme, mi- loup des steppes, ayant pour seul corollaire un déracinement social prononcé. Pour qui, finalement la simplicité d’une vie sociale - car c’est cela, vivre de choses simples, en compagnie, sans vraiment chercher de complication en lieu et place où chacun cherchera de toute manière l’aisance et la clarté d’une existence sans affliction - est diluée dans une claustration intellectuelle lénifiante « réfugié dans sa cellule envahie par les livres.. », bref, une pilule contraceptive sans lendemain. Harry semble inapte au partage, et vit dans cette incapacité névrotique à caractériser le réel que Freud traduit si bien : "Au point de vue génétique, la nature asociale de la névrose découle de sa tendance originelle à fuir la réalité qui n'offre pas de satisfactions, pour se réfugier dans un monde imaginaire, plein de promesses alléchantes. Dans ce monde réel que le névrosé fuit, règne la société humaine, avec toutes les institutions créées par le travail collectif ; en se détournant de cette réalité, le névrosé s'exclut lui-même de la communauté humaine". HH vit dans un univers, tiraillé entre une bourgeoisie inaccessible, nonobstant sécurisante, et une solitude disciplinée, s’enfonçant, à chaque secousse du destin, plus profond dans le néant, en équilibre vacillant d’une chute sans retour. On se demande alors quelle image au reflet coloré peut tirer cet homme de son spleen, le regardant peu à peu s’effondrer sur lui-même ; le théâtre magique surgit alors, nuage d’autodérision, dénué de sens apparent, où le « moi » d’HH est démultiplié à l’infini des possibilités de son imagination, ce que le réel lui interdit excepté l’ambivalence mi-homme mi- loup des steppes ; sinon le contrepied inénarrable d’une existence étouffante, n’est-ce pas l’aveu que la « fantaisie », l’autodérision, demeurent ce catalyseur « de bonne foi » que l'existence baroque révèle, et nous renseigne ainsi sur le procédé de travail à l’œuvre dans l’imagination-humaine. Je suis certain que le théâtre magique est resté incompris (pour quelques-uns), car chacun s’est borné à la portée initiatique du récit, or rappelons-nous le songe d’Harry et l’enseignement du rire de Goethe à qui Bergson vient donner raison : « Tout le sérieux de la vie lui vient de notre liberté. Les sentiments que nous avons mûris, les passions que nous avons couvées, les actions que nous avons délibérées, arrêtées, exécutées, enfin ce qui vient de nous et ce qui est bien notre, voilà ce qui donne à la vie son allure quelquefois dramatique et généralement grave. Que faudrait-il pour transformer tout cela en comédie ?... ». HH est semble-t-il beaucoup trop exigent avec lui-même (ou possiblement névrosé) pour continuer à vivre dans la corporéité physique du monde, en compagnie de ses semblables, c’est pourquoi son parcours le conduit naturellement vers l’autodérision de manière à répondre au mieux à l’éclatement psychologique d’une personnalité qu’il feint dans le monde réel. Mais l’intention liminaire nécessite une véritable force d’auto-subjectivation (quand bien même s’agissant d’autodérision) que l’existence d’HH contrecarre (ou bien on peut tout se permettre dans le genre romanesque), c’est finalement l’insensé et donc l’impossible qui lui ouvriront les portes de sa véritable personnalité.

Seulement, dans l’obscurité de sa personne, les divagations d’Harry Haller m’ont semblées somme toutes assez réductrices, sur le plan philosophique : si la quête de l’éternel doit passer par la négation totale de son être, d’ailleurs de quelle éternité parle-t-on, celle du suicide, d’une mort attendue avec libération, ou encore pures vaticinations sans avenir ; Harry Haller a toujours été exclu de la quadriparti terrestre, le ciel, la terre, les hommes et les dieux, ce qui rassemble et déploie « La chose déploie son être en rassemblant. Rassemblant, elle fait demeurer la terre et le ciel, les divins et les mortels », ou provoque la plus fébrile des angoisses, jusqu’à la négation totale. Or comment viser l’éternité sans avoir jamais été inclus dans cet espace, entre ciel et terre, où s’ouvre le sens originel, le monde à travers la chose, Harry vit dans son mirage intellectuel et pourtant il rêve d’éternité.

C’est évident, Herman Hesse a mis plus que de sa personne dans ce roman, notamment son penchant misogyne, selon lui, seule la fréquentation d’une femme peut lui faire retrouver la voie salutaire de la simplicité et par ce biais une vie sociale. Au diapason d’un certain Schopenhauer « la femme plus absorbée dans le moment présent, pour peu qu’il soit supportable en jouit plus que nous ; de là cet enjouement qui lui est propre et la rend capable de distraire et parfois de consoler l’homme accablé de soucis et de peines ».
Cette causerie malheureuse et sans modernité achève tout message quel qu’il soit, rendant caduque une quelconque universalité dans l’écrit.

« Le loup des steppes » est un roman inclassable, oscillant entre parcours philosophico-initiatique et surréalisme, mais en lâchant une perle d’extravagance comme le « théâtre magique », HH nous met en condition, en quoi notre esprit peut-il distinguer, énoncer et forcer l’attribut, sans se risquer à la démultiplication !

 

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23/12/2013
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