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"Le mythe de Sisyphe" - Albert Camus -

- Le mythe de Sisyphe -

 

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Commode d’affirmer que l’inquiétude philosophique relève de l’absurde, et inversement que la spécialisation ou stratification philosophique ne concerne qu’une part infinitésimale de l’aperception globale, cet argument est tout autant recevable pour la science, dont la volonté des épistémologues les plus obligés approche fatalement l’épistémè d’une métaphysique immuable.

S’il nous est impossible d’atteindre ce degré de subjectivité consubstantiel au questionnement philosophique, il nous reste alors le suicide : « Il n’y a qu’un problème philosophique vraiment sérieux : c’est le suicide. Juger que la vie vaut ou ne vaut pas d’être vécue, c’est répondre à la question fondamentales de la philosophie ». Camus introduit son essai par une sentence assez peu enthousiaste, au risque de limiter son développement à la rudesse du sujet ; l’intention d’appliquer, de prime abord, cette topographie du syllogisme  « angoissant » trouve une explication pertinente pour l’écrivain resserré, troublé, impatient face à la vie.

L’Absurde peut sans peine être confondu au postulat socratique, cette volonté de retrouver « l’accord perdu du logos et des choses », au minimum d’une certaine franchise intellectuelle face au raisonnement de nature à fonder toute conclusion, ce serait là une explication rationnellement acceptable du point de vue philosophique. Mais Camus pressent  la chute de l’inexplicable comme la condition intangible de l’existence, l’absurde fait marche commune avec l’irrationnel et la conscience, si bien qu’il semble irréfutable de concevoir l’absurde avant l’être réfléchi ou rationnel, c’est l’ipséité de la conscience, sa présentification au monde de l’absurde qui prime, le plan réfléchi ou intentionnel (cher à Husserl) semble être un élixir flou d’infortune philosophique, et qu’enfin toute conclusion ne permet d’échapper au suicide, au sacerdoce perpétuel d’un Sisyphe contraint, à la force des bras, de faire rouler son rocher au sommet de la montagne éternelle du Tartare. Un homme à tel point astucieux, contraint par les dieux à vivre des lendemains désolants. Rappelons seulement que Sisyphe déjouât Thanatos et provoquât ainsi la colère inextinguible de Zeus.  

Serait-ce un cri d’espoir voire de désespoir que ce « Mythe de Sisyphe », mais pour quelle logique  ce contrepoint incisif du suicide, est-ce une fin en soi, que Camus préméditât, une sorte de refoulement littéraire, auquel son destin ne put échapper ?  

« Tout existant naît sans raison, se prolonge par faiblesse et meurt par rencontre » nous indique Sartre : de fait toute intervention arbitraire porterait atteinte au concept naturel d’existence, à la liberté ;  le suicide est un revers à la liberté promue par Sartre et ne trouve pas sa place dans le courant existentialiste. Il est, pour reprendre la terminologie camuséenne, du domaine de l’absurde de mettre un terme à sa vie car l’acte précisément lui ôte toute signification selon Sartre. Il n’est pas nécessaire de s’arrêter à telle considération pour garantir l’inimitié idéologique entre les deux hommes, d’autant que l’un comme l’autre en arrive à la même conclusion, on peut seulement soupçonner un pessimisme latent chez Camus le contraignant à la « révolte ». Sartre fut très peiné par la disparition précoce de Camus, avec qui l’occasion de la réconciliation jamais ne se présentât.

Quand Camus écrit : « Je tire ainsi de l’absurde trois conséquences qui sont ma révolte, ma liberté et ma passion.  Par le seul jeu de la conscience, je transforme en règle de vie ce qui était invitation à la mort – je refuse le suicide ». Si liberté et passion semblent, selon lui, indissociables et qu’en premier lieu la révolte maintient la conscience d’être en équilibre de tout désir morbide, on constatera qu’il s’agit d’une définition de l’homme névrosé – quel artiste ne l’est pas –, toute dissension psychologique  fait rayonner la « philosophie » d’un clair-obscur flottant  – impression analogue ressentie à la « nausée » sartrienne, bien que Sartre écrivît à la troisième personne. Sans pour autant concéder à l’idéalisme d’une liberté existentialiste, on peut s’interroger sur la nécessité d’une solution contrapuntique « finale » lancée dès les premières lignes en résonnance du débat philosophique. 

Pour autant, la prose virtuose et révoltée de Camus est d’une lucidité sans pareille, sa vision d’une humanité, certes nivelée, est une lucarne clairvoyante sur un panorama auquel chacun peut souscrire, avec un pessimisme plus ou moins saillant d’ailleurs ; c’est seulement que l’argumentation camuséenne aurait une coïncidence beaucoup moins flatteuse à l’estime d’une époque où l’absurde est systématiquement consenti, traduit dans une maïeutique populaire, à l’enchère médiatique constante, que l’éthique tout comme la morale ont grand mal à défendre.

Camus avait certainement raison de s’affirmer comme non philosophe, cette dernière implique une relative pondération, voilà peut-être le péché des âmes révoltées, à qui le destin signifiât le sens de la vie en s’écrasant sur un platane, c’est peut-être finalement la meilleure conclusion d’un ouvrage traitant de l’absurdité de l’existence.

 « Je passe mon temps à conseiller le suicide par écrit et à le déconseiller par la parole. C'est que dans le premier cas il s'agit d'une issue philosophique ; dans le second, d'un être, d'une voix, d'une plainte... » Cioran.

 

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02/08/2013
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