Science-de-la-liaison

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Romans primés.


Les raisins de la colère - Steinbeck -

De manière générale, il est rare que j’entame à froid la critique d’un livre, c’est seulement que la plupart du temps, les idées ne tiennent pas la longueur du bouquin, par manque de précision, d’exemple ou d’illustration la lecture devient stérile, qu’il convient de développer immédiatement ce qui souffre de profondeur ou d’universalité, qui vient difficilement fixer la mémoire, stimuler la réflexion. Mais Steinbeck nous livre une œuvre monumentale avec « Les raisins de la colère », un exercice qui capte les éléments de succès de la grande littérature, tout au moins celle qui m’intéresse : l’Histoire avec un grand H, un récit d’événements individuels marquant de noblesse, un dimensionnement populaire remarquable, et l’humanité chamboulée, mise en demeure par la ruine d’un système véreux, une faillite tragique rapportée par l’apathie d’une situation étatique abattue, et dont  l’insouciance, mêlée d’une cupidité presque « systémique », héritée des années folles, provoquera ce désastre social sans nom, la grande dépression américaine des années 1929, de l’éclatement d’une bulle spéculative, la faillite d’un système bancaire sans vergogne qui n’a plus les moyens d’assurer sa dette et de fournir la liquidité nécessaire au fonctionnement économique, à la consommation finale, se retourne sur la Terre, y met des tracteurs pour produire davantage en tentant de maintenir un secteur agricole pourtant en crise et non productif, la marmite du désastre chauffe, les bulles au lieu de remonter à la surface pour laisser éclater l’air vicié de la corruption sur ceux qui l’ont semée, se déplacent vers l’ouest, ravagent la grande plaine multipliant les expropriations, chassent les familles de leur terre, pour répandre l’apparence austère de la propriété industrielle, l’humanité refusera-t-elle de souffrir…. ; l’exode est toujours un déchirement pour ceux dont le travail ne suffit plus à assurer la subsistance, l’homme séparé de la terre se ressoude autour du nœud familial et ne craint pas la révolution, le camion de la famille Joad se dirige vers l’ouest sur la route 66, à travers un territoire qui ne produit plus que pour assurer la variation spéculative d’un système gâté, en pourriture sur le sol, ce qui ne peut être vendu sera brulé, sous les yeux ronds des enfants meurtris par  la faim : «  Il y a là une souffrance telle qu’elle ne saurait être symbolisée par les larmes. Il y a là une faillite si retentissante qu’elle annihile toutes les réussites antérieures. Un sol fertile, des files interminables d’arbres aux troncs robustes, et des fruits mûrs. Et les enfants atteints de pellagre doivent mourir parce que chaque orange doit rapporter un bénéfice ».

Steinbeck nous livre pas forcément une analyse poussée sur les événements qui ont permis cet effondrement généralisé, les effets du Krak etc., mais s’attèle plutôt aux conséquences et principalement à la tragédie sociale, il parvient exceptionnellement à mettre en évidence les rouages d’un gouvernement déréglé, où la « flicaille » ratatinée à sa condition [ contextuelle ] «  Ils ont tous quéq chose qui les démange. Les flics ont été crier sur les toits qu’ils allaient nous passer à tabacs et nous chasser du pays… », n’a plus les moyens d’assurer la sécurité des populations, mais davantage de garantir l’écrasante domination des propriétaires aux arpents, les prisons se remplissent de « criminels » dont le crime ne fut que de revendiquer le droit de nourrir leur famille, de travailler.

Un Etat qui hurle son cri d’impuissance, et qui attend bon gré mal gré son « New deal ».

On peut admettre que l’écriture de Steinbeck est assez déroutante, son langage me gêne, mais son pari littéraire est sans commune mesure.

 


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06/06/2014
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"Le sermon sur la chute de Rome". Jérôme Ferrari.

Dans un texte philosophique le concept est avancé, on sait sans déduire la méthode de raisonnement quelle sera la substance dialectique dont on pourra ensuite tirer des conséquences logiques dans notre quête première d’un océan conceptuel sans rivage ;  en revanche le roman éveille notre imaginatif par sa prose, il nous conduit dans une analyse de caractères et d’aventure singulière, mais si celui-ci a la prétention de subsumer sous son récit, ses phénomènes qu’on considérera comme des présages, le concept philosophique, alors on peut dire qu’il attise la curiosité, mais davantage l’ exigence car dans cette narration de faits inventés, il ne s’agit pas seulement de travestir la réalité, avec des personnages « captivants », un tableau séduisant, pour ensuite recouvrir la peinture –  parfois morte – d’une coloration philosophique  dont on se demandera si la couleur est finalement bien choisie. Dit autrement le récit doit mettre à l’épreuve le concept avancé, et pas seulement dans un final lyrique, pour montrer une éloquence de fin de cycle philosophique, cependant hors sujet. Ainsi, me voilà à critiquer un prix littéraire, encensé par l’académie Goncourt, dont les quelques lignes dans wikipédia sont suffisamment parlantes pour que chacun admette que ce qui demeure de la main de ces « écrivains » ne ressemble à aucune gloire littéraire, et serait presque hostile à l’attribution d’un prix quelconque  s’il était seulement question de mettre en avant les idées d’autrui. L’académie Goncourt représente cet embourgeoisement de la littérature dont le gain matériel chez l’auteur ne doit jamais tromper, ni même guider son choix de lecture, si bien qu’on serait susceptible d’en attendre bien plus que le contenu manifeste.

Ces observations n’ont pas pour objectif de faire apparaître les endroits faibles d’une œuvre qui de toute manière s’expose à la critique, mais seulement m’expliquer librement sur mes attentes à la lecture de ce genre d’ouvrage, de notoriété mondaine : « Comme il est sans renon, elle est sans défiance.. » Corneille. 

Sont-ce deux amis d’enfance, Matthieu et Libéro, ayant décidé d’accomplir cet acte de haute résistance au monde qui les réunit dans l’étude de la philosophie, connaissances qu’ils pensent satisfaites, peut-être avec excès, pour désormais se consacrer à la gérance d’une affaire, sans grande prétention, un bar dans le village familial Corse, avec l’intention d’y fonder le meilleur des mondes possibles ; mais Jérôme Ferrari nous laisse découvrir ce monde par l’entremise douloureuse du schisme identitaire, une photo vieillie où Marcel [le grand père] ne cesse de ruminer ces instantanés d’absence et de séparation à travers le regard opalescent d’une mère qui finalement le l’a jamais considéré. Dans cette prosodie, dés-harmonisée,  où les êtres se croisent sans se regarder, Marcel sera conduit, à l’abandon (la guerre n’ayant pu infléchir son exil), puis à l’enterrement de tous ceux qui peignent ce triste tableau, les racines de l’oubli. Comment croire que la vulnérabilité du monde des hommes ne va pas ruiner ces espérances d’un monde meilleur à l’endroit d’une fatalité presque innocente.

L’enseignement d’Augustin aux hommes, est qu’ils s’émeuvent d’altérations,  de privations, « Rome a sombrée », et alors, nous vivons tous dans l’attente d’une fin inéluctable, alors pourquoi ne pas se réjouir d’un monde qui à la fois inonde de sa lumière pour sombrer presque aussitôt dans les ténèbres, ces pensées n’ont bien sur rien de mélancolique, Héraclite était obscur parce qu’il ne parlait que par énigme ; cette succession de mondes offerts à la providence montre que nous sommes tous préparés à la fin, que nous devons avant tout nous en réjouir car rien ne nous y aura autant préparé que ce succédané d’histoires et de rencontres offertes aux ténèbres. Le temps rend les choses obscures, rien ne pourra nous consoler de les rendre davantage abstraites.

La philosophie enseigne au monde son champ éventuel d’acquisition, mais elle s’égare dans le présent car tout est corruption, le monde de Matthieu et Libéro est bercé d’idéaux qu’aucun miracle ne viendra embraser, il leurs faut se réjouir de cette sagesse qui enferme les mortels dans leurs contradictions.

 

L’écriture est fastueuse, les mots sont justes, je regrette seulement que l’auteur n’ait pu s’affranchir d’une presque résignation, cela donne des phrases interminables, un ton presque canonique de fin du monde annoncée.

 

L’auteur, de formation philosophique, a su trouver le juste équilibre donnant à son récit une exhalaison composite mêlant fatum et résonance mythique.

 

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16/02/2014
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