Science-de-la-liaison

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"La peste" - Albert Camus -

- La peste -

 

 
La chronique littéraire déjoue assez curieusement les standards d’écritures ; c’est précisément d’une réalité d’arrière-plan, que vient exhumer l’écriture, que rendront timbre et sonorité d’ensemble ; de sorte que la nature des événements relatés, l’établissement des faits selon l’ordre des temps, impliquent que le ton littéraire soit prédéterminé, que l’écrivain devienne « seulement » le chroniqueur obligé d’une condition que l’artifice n’autorise plus. 

Camus retrace avec justesse l’épisode de peste bubonique survenu à Oran en 1945, tout en suggérant le dessein probable de l’existence humaine face à la calamité du monde, cet ordre « vacuitaire » d’où se réfracte l’héritage historique des conjonctions et conduites humaines. « Vous savez quels fléaux ont éclaté sur nous ….» dit Voltaire Œdipe II, le fléau est la désolation qui frappe la condition humaine sans prévenir, il est cruel, injuste, et saura se faire oublier. Ce terrassement du néant cause chez l’homme cette forme d’effet retord, semblable à la catharsis dramatique bien qu’éloigné, extirpé de son formalisme rituel, ses actes échappent à la syntonie réflexe, ordinairement établie, il est comme nous l’indique Aristote « purifié par le spectacle du châtiment…. », mais le fléau n’annonce aucune fin, il est présent, force à l’exil, ici l’effet se prolonge par la claustration et l’incertitude du lendemain. Les gens ont cessé de croire, la souffrance est là, le plaisir s’est tu, l’espérance a revêtu le maque blême de la fin attendue.

Un huis clos funeste que le catastrophisme ambiant ne semble atteindre, un trio, mené tambour battant par le docteur Rieu, personnage central du roman, ses deux acolytes que sont Rampert et Tarrou pour qui combat, résolution testamentaire ou intention la plus spontanée fédèrent l’action ; puis le désavoué Cottard, dont l’anarchie libère l’incorrection du malfaiteur abstinent à qui pourtant le narrateur trouve des circonstances atténuantes. Cette confusion qui voit lors de mouvement de masse une sorte de surenchère à la scélératesse matérielle, confusion à laquelle aucun mot ne sied et qui pourtant rend le monde, de ces individus, tolérable. 

La qualité indéniable de l’œuvre réside de part l’intensité subjective d’une empreinte sensible sans cesse réinterrogée, lorsque l’innocence se voit transpercée par l’éperon contendant d’une cruauté sans nom, d’un châtiment aveugle et désespérant, pour qui même la foi du père Paneloux ne semble faire de distinction par ailleurs. 

L’action des trois hommes recentre le désespoir d’une humanité livrée à elle-même et laisse poindre l‘exhalaison si spéciale d’un optimisme jamais feint, que le contrepoint du sort ne parvient à souffler.

Ainsi le fléau purifie l’humanité de son inconduite, la purgation survient à la manière de la tragédie en corrigeant en nous les passions par la terreur et la compassion - ci-gît le génie Grec, de n’avoir point concédé au hasard le terrible, et l’absurde abîme de l’oubli -, mais aucune leçon n’est autant déshonorante pour l’homme, chacun doit obvier, prévenir le mal, se garder du fléau, ou tout au moins s’y confondre ; telle est la superbe parabole philosophique esquissée par un Camus modéré par la circonstance, en cette période troublée par le cataclysme que chacun entrevoit.

« La peste » repousse avec brio le canevas maquetté de la tétralogie de l’absurde à quoi on attribue confusément l’héritage camuséen.

 

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30/08/2013
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