Science-de-la-liaison

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"L'être et le néant" - Sartre -

Eléments d’interprétation :

La notion de liberté chez Sartre ne s’embarrasse pas vraiment de l’idée de compromis, nécessairement contenue ds la conscience non thétique (et qui devient en philosophie conscience pré-réflexive, comme le cogito cartésien ou l’intentionnalité d’Husserl), où l’action précéderait l’essence, à juste titre. Aussi n’est-ce pas irréaliste de prétendre que cette liberté d’action aurait pour effet de gommer la nature même du compromis communautaire si brillamment décrit par l’auteur dans sa définition de l’être pour autrui (ces « vecteurs » dichotomiques du pr autrui, car chacun relié à sa propre facticité, et cependant complémentaires au sens où ceux-ci déterminent le degré d’aliénation  : le « regardant », « regardé »). Si bien qu’on pourrait confondre liberté, lutte et remise en cause, et ainsi enchaînement (aliénation) consistant à lutter pour cette même liberté devenue à bien des constats hypothétiques ! L’existence Sartrienne demeure enchaînée à son système de valeurs communautaires, elle prône une remise en question fondamentale du sur-moi, ns incite à entamer le spectre subjectif, par la psychanalyse existentielle et par ce biais à redéfinir nos actions ;  c’est ainsi selon l’auteur que la liberté est avant tout liberté de n’être pas, facticité et contingence, de même sans la liberté d’autrui qui fixe notre coefficient d’adversité et ainsi d’aliénation, le concept de liberté serait une absurdité, au même titre que prendre le concept ds son acception liminaire, précisément l’écueil du solipsisme qui est pure négation d’être libre. Pour Sartre ns sommes condamnés à être libre ; pour autant quel mot caractériserait le mieux l’existence humaine que celui de liberté, imaginons un instant que la conscience non thétique soit dépourvue de la possibilité de choisir – inhérente au tout à chacun apriori –, évidemment absurde, et pourtant Sartre ns  indique dans sa description opiniâtre de la mauvaise foi, que le mur d’airain est bien prégnant, qu’il connote l’angoissante réalité de néantiser sa propre liberté par ses possibles (éventuels) contingents de la liberté objectivée d’autrui ! Si bien que sans vraiment forcer son attention on assiste à une parade mondaine de carrosses et laquais en quête perpétuelle d’une identité en décalage avec l’essence d’être  - authentiquement libre. J’imagine sans peine Sartre attablé, au café de Flore, à la coupole peut-être (où il avait ses habitudes avec Simone de Beauvoir), scrutant d’un œil circonspect les vas-et-viens du garçon de café, tout en couchant sur le papier la métaphore philosophique d’à-propos : « Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d’un pas un peu trop vif, il s’incline avec un peu trop d’empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà qui revient, en essayant d’imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d’on ne sait quel automate, tout en portant son plateau avec une sorte de témérité de funambule [...]. Toute sa conduite nous semble un jeu [...]. Il joue, il s’amuse. Mais à quoi joue-t-il ? Il ne faut pas l’observer longtemps pour s’en rendre compte : il joue à être garçon de café. »

Presque au terme du fil diamantin et incisif « d’être et néant », je pressens déjà la chute idéaliste, parfois même irréaliste de l’existentialisme, où quand Sartre reproche à Hegel son idéalisme absolu que toute une génération de philosophes allemands depuis Kant en passant par Schelling…revendiquera le courant. Aussi laissons de côté le parti pris critique des partisans marxistes et pseudo chrétiens d’époques qui n’ont objectivé leurs critiques que sur l’assiette objectivée du corpus idéologique qu’ils représentassent, or c’est bien là une contradiction élémentaire à la théorie défendue par Sartre consistant à revendiquer son être libre par la conscience positionnelle de l’être pour autrui, par le prisme subjectivé de l’être se choisissant d’être libre, or chacun comprendra que cela nécessite la mise en retrait de son objectivité, si bien qu’en matière d’idéologie on admette que trop facilement la naïveté d’approche, se heurtant à un concept philanthropique universel, c’est autant la qualité que le défaut de la thèse qui se veut universelle au sens où la liberté est autant une acception linguistique chevillée à la condition humaine (la nature humaine est infondée selon Sartre, comme pour Marx d’ailleurs CQFD) ns l’avons dit, qu’une généralité d’existence sans contrainte, c’est de toute évidence l’axiomatique que lui fera emprunter la procession critique, en prenant comme corrélatif l’écueil du solipsisme voire de la dénégation égocentrée, si bien qu’il s’en justifiera, par désespoir intellectuel surement, ds le discours : « l’existentialisme est un humanisme » paru en 1946, l’engagement de Sartre est à l’image de sa philosophie, une philosophie de l’action : « l’existence précède l’essence » ! Rappelons à quel dessein est voué une philosophie subversive, et par surcroît révolutionnaire, séditieuse sans être conformiste, lorsqu’elle traîne dans son sillage l’écume juvénile et revendicative de son temps, Sartre n’eût certes pas à faire l’expérience amère de la ciguë  mais bien plus encore car Socrate mourut pour ses idées, l’obligation de saper au prisme d’un humanisme éblouissant, les carcans idéologiques et réactionnaires d’après-guerre.

 

Finalement le grand Dénie de Sartre est d’avoir néantisé l’existence humaine (élément le plus critiquable selon le déterministe des scolastiques CQFD), sans se murer du côté déjà éprouvé de la rationalité dont Descartes revendiquât sa propre liberté -- le cas cartésien n’est pas cité innocemment puisque l’évidence cartésienne se situe dans la ligne de mire existentialiste --, ni-même se risquant au concept de psychologie descriptive défendu notamment par la phénoménologie intentionnelle d’Husserl, il s’inscrit ainsi directement dans la marche d’un Kierkegaard où  « l'existence est le surgissement de la liberté responsable d'un sujet », bien qu’il s’agisse chez Kierkegaard d’un existentialisme chrétien alors que l’athéisme chez Sartre est parfaitement authentifié – pour Sartre dieu ne garantit pas l’existence, qu’il soit une propriété transcendantale absolue cela ne change rien car l’homme reste seul décisionnaire et architecte de sa vie –, puis à plus proche « enjambée » du « dasein » d’Heidegger. Ainsi la grande franchise du concept de philosophie existentielle de Sartre est d’avoir placé l’être face à sa propre facticité en déduisant un phénomène inductif de libération qui ne peut s’appréhender que par l’expérience de son néant, pour autant et bien que deux des trois panneaux clés de définition de l’être dans « l’être et le néant » : l’être en soi et le pour soi démontrent leur substratum indubitable, l’être pour autrui affiche une dissension car il met en évidence la parfaite dichotomie des consciences revendiquant la liberté, si bien qu’en conclusion Sartre en appel à la psychanalyse existentielle (comprendre son être au monde) : « l’être est condamné à être libre », c'est-à-dire condamné à définir puis redéfinir continuellement ses actions  : « Pourtant, l’existence de l’autre apporte une limite de fait à ma liberté. C’est qu’en effet, par le surgissement de l’autre apparaissent certaines déterminations que je suis sans les avoir choisies. Me voici, en effet Juif, Aryen, beau ou laid, manchot etc. Tout cela, je le suis pour l’autre, sans espoir d’appréhender ce sens que j’ai dehors ni à plus forte raison de la modifier ».  C’est par cette mise en situation incontournable que Sartre ns indique dans quelle mesure la liberté d’autrui détermine l’isotropie aliénante des consciences et par cette libre assomption d’autrui la voie à emprunter, de sorte que l’adhésion de son être objectivé par autrui est la spécificité de mon être libre puisqu’elle détermine en prime abord la liberté d’autrui, par le sens de mon projet initial voué à la mise en situation protéiforme du pour-soi confronté à sa facticité – si bien qu’on puisse même lui tolérer ses manquements –, l’assomption de la liberté d’autrui ne recèle de contradiction dans la mesure où ns la considérons comme libre, que par la subjectivité-réflexive qui est ici en jeu, si bien que cela ns reconduise au diallèle asymétrique des consciences, car il ne s’agit pas seulement d’octroyer, de son être objectivé par autrui, le caractère fondé et légitime de sa liberté, puisque de toutes les manières il demeure et restera son périmètre d’objectivité et donc de liberté (préréflexive), quand bien même le langage ns donnerait quelques indices, mais de concevoir que mon projet individuel ne peut céder sous un coefficient d’adversité contingent et de toute évidence recelant les indices nécessaires à l’édifice concret de mon être libre, ainsi ns saisissons le dimensionnement propice d’intersubjectivité des consciences par quoi l’humanisme éclatant de la philosophie sartrienne, qui toutefois recentre le débat sur la psychanalyse existentielle, souhaite ns faire converger ; pour autant la psychanalyse existentielle montre ses limites quand il l’oppose eo ipso au corpus freudien en nous indiquant la scissiparité presque binaire entre « le conscient qui n’est forcément que conscience de quelque chose » selon Husserl et l’inconscient, si bien que pour l’auteur (Sartre), les phénomènes psychiques souterrains ne peuvent être méconnus du sujet conscient, or la difficulté opératoire se ressent, dès lors où l’hermétique des schèmes psychiques, ce « lieu » d’échange, de traitement de l’information identifiable ou pas aurait la prétention d’une franchise circonstanciée, -- au-delà du corpus empirique de la psychanalyse car il est bien évident qu’une définition pré-ontologique de l’être au monde montrerait ses limites assez tôt --  une interprétation objective de son être au monde seulement parce qu’il a conscience d’être, on voit bien que Sartre prime la singularité du principe d’individuation, il estime le corpus empirique insuffisamment corrélatif car l’enquête visant à reconstituer la vie psychique du sujet,  par la compréhension des symboles  (de son rapport au monde, aux autres etc..) demeure la pierre d’angle du rapport analytique. Il convient donc de lui attribuer, du fait de son être existant d’où surgit la liberté, le principe d’évidence psychanalytique en quelque sorte le « cogito ergo sum » de Descartes par l’à-propos et l’analyse des signes existentiels, c’est aussi une co-propriété des psychanalyses et autres pratiques cliniques qui pourtant n’ignorent pas l’inconscient psychique, son spectre névrosé, dont la mise en évidence par la solution sartrienne semble compromise.

D’autant que la philosophie consciencialiste se heurte à la difficulté de conjecturer la description d’un vécu intentionnel non vécu dans l’immédiateté de la conscience, car chacun sait que l’intention est une propriété immanente du présent psychique, en dépit de la grammaire expressive dont l’interprétation historialisée se révèle nécessaire ; on admettra alors que le produit étagé de la psychanalyse « traditionnelle » apporte une complémentarité nécessaire qui au-delà de l’aspect comparatif existentialiste promu par Sartre propose une compréhension globale du sujet ; et tout autant la difficulté d’être révélé à la conscience ne constitue pas forcément pour la psychanalyse freudienne sa justification herméneutique dont la catégorisation d’inconscient psychique arrange probablement un certain nombre de cas, car finalement Sartre a peut-être raison d’affirmer que l’inconscient de la psychanalyse freudienne est une solution commode pour naturaliser l’inaction de la conscience, un peu comme une prosopopée « déloyale » déchargeant la conscience de ses obligations, c’est tout le génie de l’opposition sartrienne qu’on pourrait illustrer par un rapport patient psychanalyste ambiguë à bien des égards. Mais cette théorie s’étiole bien vite car il ne lui tient que de rendre évident l’intentionnalité, les mécanismes moteurs du principe de refoulement. On peut ainsi conclure que l’acception psychanalytique chez Sartre ne contient qu’une tranche superficielle de l’être à l’instar de sa philosophie consciencialiste, précisément la psychanalyse existentielle dès lors qu’il s’agirait d’explorer la dimension obsessionnelle du spectre névrosé : « Sartre donnerait un projet à l’être alors que la psychanalyse freudienne préciserait son fatum ».

Ainsi, il semble difficile sur le plan philosophique, de défendre la psychanalyse de Sartre, car elle ne mesure en rien, et ne constate jamais la détermination psychique de l’individu laquelle constitue le fil conducteur (directeur également) d’une éventuelle méthode thérapeutique. D’autant qu’on conçoit le chemin par lequel l’auteur semble vouloir guider les pas du sujet, encore faut-il que celui-ci en prenne conscience, si bien que la mauvaise foi s’annonce comme un paramètre synthétique inopérant s’agissant d’une éventuelle prise de conscience du sujet : il s’agit de mécanisme de résistance psychique ! C’est pourquoi il semble  cohérent d’admettre que l’élément psychanalytique développée par Sartre dans être et néant contredit l’intonation humaniste (voulue par l’auteur) par une volonté sans compromis de recentrer la névrose sur un choix arbitré de l’être. On voit bien où cela mène, dans une impasse philosophique. Quand Nietzsche nous indique que « L’homme doué d’un esprit philosophique a même le pressentiment que, derrière la réalité dans laquelle nous existons et vivons, il s’en cache une autre toute différente, et que, par conséquent, la première n’est, elle aussi, qu’une apparence ». Sartre s’y oppose en matière de psychanalyse et nous montre que la vivacité de l’essence cartésienne, sa rectitude apollinienne peut parfois éblouir le fruit de la pensée.

Il semble évident qu’à la lumière d’être et néant Sartre possède une connaissance pointue du corpus freudien, d’autant que son opposition catégorique, par cannibalisme intellectuel patent, révèle une diffraction du sentiment d’être soi-même ou du mode de sensibilité général qui nous permet de juger de notre existence !

L’acception liberté est à prendre chez Sartre avec tout l’engagement individuel qu’elle subodore, ne pas choisir se révèle aussi être un choix –. Pour autant il nous précise que la frontière est mince face au précipice vertigineux du solipsisme, des conduites de mauvaise foi, qui demeurent et restent malgré tout l’évidence d’une fuite du pour soi confronté à sa propre facticité, ce qu’il nomme l’angoissante réalité ! Si l’on abstrait la couche superficielle de la psychanalyse existentielle, la pensée sartrienne donne un nouveau souffle à la phénoménologie d’Husserl en consignant le potentiel noématique, la noèse en un syncrétisme naturel de la conscience laquelle revendique sa liberté à travers le pour-soi se néantisant dans l’en-soi. De fait, la métaphysique du sillon obsessionnel de la conscience d’être au monde se révèle avec la pensée Sartrienne comme la liberté vue comme responsabilité d’être cause de ses actions ect… « l’ens causa sui ».

C’est en poussant la philosophie à son paroxysme par un style dense, sophistiqué (sept cent pages de phrases à tiroir) que Sartre proposera un codex philosophique dont le décryptage (réservé aux initiés) révèle une portée humaniste jamais peinte en philosophie, en mesurant toutefois l’autorité de la psychanalyse existentielle qui nous l’avons dit ne s’oppose pas à Freud, mais vient la compléter par une herméneutique catégoriale des personnes. : « le sens éthique des différents projets humains ». Cette pensée d’Heidegger peut sans peine être reprise par Sartre : « ….c’est Kierkegaard qui m’a donné les impulsions, Husserl qui m’a implanté les yeux, et Heidegger qui motivât ma plume ».



16/07/2013
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