Science-de-la-liaison

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"Le monde comme Volonté et comme Représentation"

Un œuvre résolument moderne, qui transgresse un peu tous les mécanismes de substruction philosophique ; le corpus kantien y occupe d’ailleurs une place singulière, en particulier la partie critique des « antinomies de la Raison », notons que l’idéalisme transcendantal est perçu par Schopenhauer comme une source tangible du caractère objectivant de la « volonté » philosophique : la subjectivité absolue.

Si l’œuvre de Schopenhauer s’affiche en marge des philosophies idéalistes de son temps c’est justement parce que les idées avancées sont révolutionnaires, réduire sa pensée à une philosophie pessimiste montre uniquement une compréhension inachevée du propos, auquel on refuse toute franchise, une mauvaise foi sartrienne contre l’existence qui n’a jamais, quant à elle, maquillée ses apparences tragiques, les Grecs ont inventé l’esprit tragique sans un accord vraisemblable à l’existence ; il est commun, en effet, qu’une philosophie s’entiche du courant qui la vu naître, qu’on ne perçoive plus, à travers lui, que la répétition d’idées protéiformes, mais clairement Schopenhauer nous livre  une pensée très personnelle, presque sans filiation, mais étonnamment lucide, une vision du monde sans embellissement. Fut-ce peut-être la manière la plus honnête d’enclore ce moment fort de la Philosophie, l’idéalisme allemand, encensé, entrainé dans les hauteurs montagneuses sous l’influence de la littérature classico-romantique.

 

 « Cette volonté, ce monde, c’est nous-mêmes ; la représentation fait partie du monde, dont elle est une des faces ; quant à la forme de cette représentation, c’est l’espace et le temps, c’est par suite tout ce qui existe au point de vue de l’espace et du temps, en quelque lieu et en quelque instant que ce soit ».

L’idée générale chez Schopenhauer peut se traduire par ce mouvement de bascule entre d’une part la représentation et d’autre part le monde considéré comme « représentation », c’est-à-dire l’objectité adéquate de la « Volonté ».

 

Pour Schopenhauer, la « Volonté » est un phénomène global, perçu dans un ensemble naturel homogène, où chaque élément est animé par une force indivisible, ça peut sembler un peu simpliste, à première vue, d’autant que l’argumentation du général au particulier, de la nature à l‘homme et vice versa  [pour ce qui relève de la chose en soi] peut sembler obscure de ce point de vue, puisque la volonté humaine, la démarche qui lie la motivation des hommes exige des contreparties autrement plus spécifiques qu’une zoologie grégaire propre à l’instinct animal, privé de liberté…, mais davantage encore si l’on devait désigner la volonté chez la plante, or pour Schopenhauer tout est « Volonté », un principe nominal de droit commun en quoi la justice universelle doit trouver son mode d’expression authentique. Une perspective philosophique directement empruntée à la sagesse indienne, en particulier le « Veda » et les Upanishad dont on sait que Schopenhauer a étudié la plupart des textes, sa pensée en est pénétrée de part en part : « Le Veda est une puissance agissante fondamentale qui se manifeste dans l'intuition cognitive de l'ordre cosmique par des hommes inspirés ».

A présent, si une force, « la volonté », distingue l’essence organique du reste de la matière (inorganique), et que dans le premier cas une « volonté » particulière rend possible la connaissance du monde, puis l’expérience (l’entendement), par la chose en soi, pour laquelle aucune loi ne s’applique, excepté la cause phénoménale à quoi est assujettie la connaissance des autres phénomènes réglée dans une pluralité causale où à chaque fois la fin se rapporte au phénomène dont la réalité constitutive n’est conditionnée, n’est rendue possible que par le temps et l’espace, c’est donc que notre expérience  n’est conditionnée que par la connaissance des phénomènes, pourtant la chose en soi, qui pourtant est « volonté », ne possède aucun caractère particulier, elle est presque un concept vide.

D’autre part, c’est aussi à titre de phénomène que l’Idée platonicienne prend la forme du principe de Raison, l’essence même du principe d’individuation, Schopenhauer emprunte directement à Platon le principe selon lequel tout phénomène d’Idée se manifeste par la matière, sa qualité intrinsèque, seulement on remarquera que Platon exclut tout principe d’Idée « intermédiaire », pour cela il suffira de se rapporter au « Timée » dont le caractère obscure du texte laisse toutefois la lumière sur les rudiments platoniciens dont le principe philosophique est parvenu jusqu’à nous. On notera également sous cette perspective la raison pour laquelle Platon portait une aversion toute particulière contre les idées poétiques, car de ce point de vue, de ce degré inférieur d’objectité de la volonté, Platon reste soumis à la pesanteur générale de la matière, une compréhension esthétique et rationaliste du phénomène, la distance ne manifeste aucun conflit pour Platon car il se restreint à « l’aspect » constitutif et nécessaire de l’Idée, tout contraste est exclu de la gouvernance de la cité. Si Platon rationnalise  autant le concept d’idées abstraites en opposant le monde sensible, celui de la croyance, au monde intelligible, il le fait de manière absolue et arbitraire, il bannira ainsi les poètes de la cité, les Idées les plus subversives et possiblement tendancieuses pour la république d’Athènes, et pourtant la quintessence même de l’humanité ; à ce propos, le procès et la mort de Socrate témoigne aussi d’une période troublée où l’esprit démocratique, essoufflé, nécessitât plutôt une forme d’ordre républicain dont Platon fut le plus obstiné  « des policiers ». Mais le rationalisme Platonique est bel et bien fondé, Schopenhauer montre en quoi cet état d’objectivation basic de la volonté, calqué sur la nature animale et physionomique du monde, peut atteindre une sphère éminemment plus élevée où l’expression même de l’Idée traduit l’expérience intuitive et historiale donc continue des actions et des aspirations des hommes, ces Idées empruntent des chemins graduels, des contours abstraits ; un génie que dévoile aussi le genre poétique dans sa difficulté d’exécution compte tenu la hauteur des impressions qu’il produit. Cela implique une réflexion plus vaste encore sur la portée du langage, cette parole sacrée, dont les Grecs ont saisi comme personne la portée décisive : « Les Grecs, qui, d’une manière unique en son genre, pensaient à partir de leur langage, c’est-à-dire recevaient de lui leur façon d’Etre (Dasein) » Heidegger. Ainsi le processus d’individuation intervient en ce sens par l’assimilation au langage poétique, puisque l’expression de l’Idée est le degré le plus haut d’objectivation de la volonté, il prend avec l’œuvre poétique sa mesure la plus significative. 

 

« Plein de mérites, mais en poète,

L’homme habite sur cette terre. »

Hölderlin.

                                                                            « Un vent doux souffle du ciel bleu.

                                                                           Le myrte se tait, et le laurier se dresse immobile. »

                                                                          Goethe.

 

« Nous sommes un signes »…dit le poète, entretenant la proximité, l’éloignement, parmi les hommes et toujours manquant.

 

Ainsi les Idées (au sens où Platon l’attend malgré son rationalisme) sont l’objectivation adéquate de la volonté,  que l’on reconnait dans les domaines de l’Art ce plus haut degré du principe d’individuation, car l’homme y reconnait les Idées les plus nobles, le sublime.

                                

La « volonté » est le caractère insaisissable de la conscience, par essence, elle est le regain de liberté intangible auquel l’Etre se fond à l’existence, pourtant à elle seule ne constitue rien de concret, c’est donc qu’elle est le sujet de la connaissance soumise au principe de raison suffisante comme nous l’indique Schopenhauer, mais pas seulement car si nous éliminons tout ce qui a trait au principe de nécessité, on remarque que l’intelligence, bornée pour les adeptes de la « raison suffisante », aspire à une représentation plus haute où justement la sphère universelle lui est révélée, toujours en gardant à l’esprit que l’homme reconnait en lui la forme objective de sa volonté (Idée/principe d’individuation), Schopenhauer nous indique que pour la plupart ce champ d’observation universel est voilé (le voile de  Maya) par le commerce habituel qui cantonne la raison aux seuls phénomènes, l’humanité ne perçoit plus l’essence des choses. Et de là s’affichent les imperfections inévitables de la nature humaine, l’homme est emprisonné par un principe d’individuation enclos sur la seule cause phénoménale, et comme l’existence est une lutte constante contre les revers du sort, il se cramponne en faisant ressortir ses instincts "grégaires", souvent au détriment d’autrui, on croit au bonheur alors qu’en réalité cette satisfaction, d’ailleurs éphémère, n’est qu’une contrefaction d’un égoïsme pour le coup universel. On va pas demander à Schopenhauer de remettre en cause les opposés qui s’entrechoquent dans la volonté de vivre, seulement on perçoit ostensiblement que l’aspect des choses, la vision courante des phénomènes, provoque la cause tourmentée et l’abandon du principe d’individuation, en ce sens rien n’est formaté aux yeux de la raison, l’intelligence qui affranchit la volonté des « lois » de la nécessité doit entrevoir les principes qui régissent la justice et le bien universels. Tel est le principe philosophique qui ressort de l’ouvrage de Schopenhauer, outre les multiples points abordés dans les domaines de l’Art, de la métaphysique, de l’éthique, de l’esthétique, du droit de la propriété etc.

 

Si le « Monde comme volonté et comme représentation » n’a pas su trouver ses lecteurs, on peut croire que le caractère négatif du propos, pourtant lucide, ne pouvait satisfaire aux attentes des chaires universitaires, à l’Idée d’une pensée qui avance, témoin d’une construction pour l’avenir ; ajoutons un personnage profondément antipathique à l’ego surdimensionné, et on vous sert les ingrédients d’un ostracisme philosophique tout à fait convenu. 

 

(...)

 

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21/05/2014
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